par Jean SOUVERBIE, de l’Institut.

Je lis, dans "Opéra de Paris"la spirituelle et chaleureuse critique que mon éminent confrère

Florent Schmitt a consacrée à l’admirable musique écrite par Raymond Loucheur pour le Ballet

"Hop-Frog", d’après le conte d’Edgard Poe.

Il est encore temps de dire quelques mots sur les décors et les costumes conçus par Nicolas Untersteller, pour cette oeuvre.

C’est peut-être dans cette forme de l’art théâtral, le Ballet, que la part du peintre se fait le plus vivement sentir.

Le Ballet étant essentiellement visuel, il est donc nécessaire que le peintre nourrisse de son art la matière chorégraphique et musicale, l’accompagne, la mette en valeur, en facilite la perception par une hiérarchie des formes et des couleurs.

Dans le Ballet, les parts du chorégraphe, du musicien et du peintre sont égales.

Nicolas Untersteller, d’emblée, l’a compris. Il est vrai que son passé de peintre monumental, fresques, vitraux, tapisseries, le préparait parfaitement à cette forme de la peinture, tenant compte de l’ampleur, du grossissement qu’exige l’optique de la scène.

Là où tant de peintres ont échoué, écrasés par les dimensions exceptionnelles de l’Opéra, Untersteller, par son grand talent, a triomphé.

La richesse, la variété, la fantaisie de ses décors et de ses costumes, l’équilibre qu’il observe dans leurs proportions et leurs couleurs, la nouveauté de sa vision, son désir de servir Edgard Poe en recréant le climat mystérieux de ce conte, font de son oeuvre une très belle réussite.

Réussite qui s’affirme depuis le premier tableau, la chambre du roi, ce roi d’un jaune comique et cruel à la fois, ces grotesques ministres noirs et ce fou et sa compagne d’un rouge si vibrant, jusqu’au décor de la grande salle du palais, d’une architecture hors du temps et de l’histoire, baignant dans un climat inquiétant, recréé par les noirs, les blancs et les bannières rouges, emplie de la foule des courtisans aux costumes d’insectes bizarres, de fleurs inattendues, de marionnettes métalliques, de ces costumes de cour aux détails étonnants, mélangeant la Renaissance et le Pérou, d’une fantaisie et d’une invention magnifiques...

L’entrée du roi et de ses ministres déguisés en singes, d’une bestialité presque gênante, s’oppose aux raffinements colorés et précieux qui les entourent, pour finir par la montée du singe monarque, accroché, pour la vengeance d’Hop-Frog à ce lustre qui l’enflamme, oeuvre excellente dont l’intérêt plastique ne faiblit pas, au même titre que l’action chorégraphique et musicale.

Dramatique spectacle, d’une homogénéité parfaite tel qu’on pouvait l’attendre de ces trois grands artistes Raymond Loucheur, Harald Lander et Nicolas Untersteller.